En 2010 - 2011, le Musée d'art contemporain de Barcelone et celui de Porto présentaient l'exposition " Gil J Wolman I am immortal and alive".
La revue "CCP, cahier critique de poésie", publiée par le centre international de poésie Marseille, a fait paraître dans son numéro 21, dont le dossier est consacré à Bernard Noël, cette critique du catalogue de l'exposition.
Je remercie le cipM de m'avoir autorisé à reprendre ici cet article.
La création c’est aussi ce qui reste quand les déménageurs sont passés.
En 1995, Wolman envoya une invitation à «voir de mémoire» l’exposition Schwitters, qui venait de s’achever à Beaubourg, à partie des seuls cartels des tableaux. Puis, ayant récupéré les cartels, il annonça sur le même principe l’exposition Voir de Mémoire 2 à la Galerie de Paris, deuxième exposition tout aussi virtuelle que la première.
Quoique différemment. Les deux expositions étaient des exercices d’anamnèse sur l’emplacement (le locus) suivant la légendaire leçon du poète Simonidès, inventeur des arts de mémoire. Mais tandis que la première s’adressait aux visiteurs de Beaubourg, revenant en quelque sorte sur leurs pas, la deuxième - le cartel y était encore plus séparé du tableau- proposait à chacun de faire resurgir sa propre exposition Schwitters, souvenir imaginé mais non moins réel que celui des visiteurs.
Ce genre de virtuosité aurait de quoi intimider le commissaire voué à classer, exposer, commenter, cataloguer et éditer Wolman. Il faut reconnaître que de tels scrupules n’ont pas entamé la résolution des organisateurs de l’exposition de Barcelone si j’en juge par le catalogue du MACBA . Très informés de l’exigence de ne pas faire du (faux) Faux Wolman, ils ont été chercher bien plus loin leur inspiration. Frédéric Acquaviva écrit ainsi «On parle souvent de ceux qui ont combattu pour obtenir le droit de vote ou instituer les déclarations des droits de l’homme. Nous devrions aussi être conscients de notre dette à l’égard de ces artistes pionniers, qui ont ouvert la voie à la Nouvelle Vague et au cinéma expérimental, puis à la totale démocratisation de l’acte de filmer, grâce à la technologie vidéo et numérique». Je voudrais scotcher cette belle citation au pied d’une statue, mais laquelle?
Sur une telle pente, l’exposition vise à démontrer ce que Frédéric Acquaviva appelle le «constant avant-gardism» de Wolman. Elle s’organise en périodes, mouvements, innovations, procédés, heureusement disposés selon la chronologie de tout le monde, qu’autorise la constance de l’avant-gardisme.
Ainsi du mouvement séparatiste. Nous savons tous quelque chose des séparations de Wolman. Villeglé rapporte cet exemple «Si tu dois dire Je t’aime Charlotte, représente-toi chez le marchand de quatre-saisons demandant Combien les carottes? et prends cette tonalité abrupte, interrogative.». Le parler faux des films de la Nouvelle Vague commence avec ce ton séparé.
Le mouvement séparatiste moque et détourne non seulement la manie organisationnelle mais aussi la critique de la séparation de Debord. Wolman pouvait bien être un mouvement à lui seul puisqu’il avait créé une internationale à deux, et justement une deuxième internationale lettriste.
Mouvement veut dire surtout le geste même de séparation qui est chez Wolman depuis le début. En 1977, il le nomme ainsi: mouvement séparatiste. Encore ce geste n’est-il pas celui de la simple découpe et de ses effets («On a pu parler pour mes expositions de déchirure... cela ne m’intéresse pas..Ce qui m’intéresse c’est l’espace qu’il y a dans la séparation»). Le mouvement sépare, et sépare à nouveau; il analyse, délie, discrétise, et à partir de l’élémentaire, produit autre chose («L’un n’exclut pas l’autre»): du souffle ou de l’espace, de l’unité et encore du mouvement. Le mouvement séparatiste libère le territoire de Wolman, un plan de travail pour créer d’autres mouvements, des «motions» au sens des Motion Pictures de Muybridge. Et sur ce plan de travail, il y a l’Anticoncept, les mégapneumies, les métagraphies, le Mode d’emploi du détournement, le scotch-art, les mouvements séparatistes ...
Bref c’est plutôt la constance de Wolman que son avant gardisme qu’on aimerait voir exposer.
Mais je sens bien ce que ces réserves doivent à la position du Voir de Mémoire 2. Il est inévitable que notre propre exposition imaginaire nous apparaisse d’assez loin préférable à l’exposition réelle, comme à toute exposition possible, et difficile de cacher cette préférence dont on ne peut cependant tirer aucun argument critique.
Car ce n’est pas rien d’organiser la première grande rétrospective de Gil J Wolman hors de France. En 2001, le Frac Bourgogne avait présenté à Dijon «Gil J Wolman Les Ex-positions» et en 2009, grâce à Frédéric Acquaviva, le C.I.P.M (1) nous avait montré les Editions inconnues de Wolman. Ici cent vingt neuf oeuvres ont été rassemblées, comprenant des travaux célèbres comme Deux américains sur trois croient, Gagarine se tue en avion, Duhring Duhring. Le pays de Ramon Lull et Abraham Aboulafia est le premier à accueillir Wolman: c’était écrit.
Si, emporté par mon enthousiasme, vous souhaitiez sauter dans le train pour Barcelone (une sorte de TGV inconstant), apprenez qu’au moment où vous lirez l’article, dans le meilleur des cas, l’exposition se sera transportée à Porto, dans ce qui ne s’appelle pas encore le MACPO. Dépéchez vous donc avant que passent les déménageurs, ces gentlemen de la séparation.
Autrement il ne vous restera plus qu’à vérifier par vous même si ce catalogue en Catalogne est un bon «cartel stimulant de la mémoire rétinienne». Pour consolider cette lecture, prendre Wolman Défense de mourir aux Editions Allia: c’est la meilleure introduction à l’oeuvre de Wolman.
(1) Le Cahier du Refuge, n° 173, 2008.
Gil J Wolman
I am
immortal
and alive
Textes de Bartolomeu Mari, João Fernandes,
Frédéric Acquaviva, Kaira M.Cabãnas
Museu d’Art Contemporani de Barcelona (MACBA)
Fundação de Serralves - Museu de Arte Contemporãnea, Porto
(anglais)
144 pages
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