Voici le compte rendu de lecture du livre de McKenzie Wark, Un manifeste Hacker, paru dans le numéro 14 du Cahier Critique de Poésie, Octobre 2007.
La revue comprend deux grandes parties : un dossier consacré à un(e) poète, dans ce numéro, Jean Daive ; et une série de notes de lecture plus ou moins développées, comme celle ci. Je remercie Emmanuel Ponsart de m'avoir autorisé à la reprendre ici.
Les lecteurs intéressés par ce sujet peuvent compléter par "Le retour du manifeste".
McKenzie Wark
Un manifeste Hacker
Editions Ubiproedis et Criticalsecret
np, 20 Euros
Vous ne saviez pas que je crains les manifestes, vous allez voir que je ne crains pas les apologies.
Un
Dans un titre, " Manifeste " le plus souvent n'appelle pas d'article : manifeste de monseigneur le duc de Beaufort , manifeste du parti communiste, manifeste (s) surréaliste(s), manifeste pour l'abolition du foie gras. McKenzieWark a choisi d'en donner un au sien : curieusement, l'indéfini.
On comprend d'abord cette indéfinition comme une affectation de modestie: le livre ne représente pas le point de vue des hackers, ni ne cherche à le représenter ; il est simplement un des manifestes hackers possibles.
Il faut bien qu'une telle modestie trouve son emploi. A propos du livre de référence de Pekka Himanen, L'éthique hacker , McKenzie Wark écrit: " L'excellent travail d'Himanen a beaucoup à dire sur l'époque hacker et son opposition à l'époque marchande et pourtant Himanen essaie encore de réconcilier le hacker avec la classe vecteur. Il fait exprès de confondre le hacker avec " l'entrepreneur " ". Un plaisir de ce texte est son peu d'affinité avec l'esprit de consensus.
Les trois sources et les trois parties constitutives du manifeste hacker pourraient être : les théories de la " creative class " ; la culture critique de la société de l'information ; et la " succession contre-canonique " qui va de Lautréamont au Critical Art Ensemble, en passant par le situationnisme et Burroughs.
Le livre est une charge contre les différentes théories de la classe créative, sur lesquelles on peut s'instruire en s'amusant dans l'anthologie en ligne de Richard Barbrook, The Class of the new/ The Classes of the new.
McKenzieWark est proche de groupes comme Critical Art Ensemble, Nettime, Sarai. Avec Joséphine Bosma et Geert Lovink, il a été un des coordinateurs de l'anthologie Readme ! Filtered by Nettime, la bible du courant du " media tactique ".
"Un manifeste hacker est entre autres choses une tentative d'abstraire à partir des pratiques et des concepts qu'ils produisent ".
Il se réfère à la plupart des théoriciens qu'on voudrait black lister de ce côté ci de l'Atlantique sous l'appellation de " pensée mai 68 ". Mais c'est plus sûrement, de Lautréamont à Debord, la critique de la séparation, et la pratique du détournement et du plagiat qui marquent son travail.
Manifeste
Pour McKenzieWark, le recours au genre du manifeste signe le retour de l'histoire.
Ecrit qui annonce de nouvelles manières de voir dans la littérature, les arts, la politique, le manifeste ne cherche pas l'adhésion universelle mais à retenir un certain public par sa force démonstrative.
En ce sens la disposition fragmentée du livre n'est paradoxale qu'en apparence. Hacker, le manifeste doit bien avoir quelques unes des qualités d'un hack.
" Pour être qualifiée de hack, la trouvaille doit être imprégnée d'innovation, de style et de virtuosité technique ".
L'ambitieux rédacteur a donc imaginé de découper son texte en 16 chapitres, comprenant de 12 à 30 propositions numérotées, et classés selon l'ordre alphabétique. En multipliant les entrées et les parcours de lecture, l'ordre alphabétique est sensé rompre l'illusion téléologique (post hoc propter hoc) et favoriser la liberté du lecteur. Les deux entrées fonctionnent différemment : alors que les propositions sont organisées en séquences, les chapitres ouvrent sur le système.
La lecture du livre rappelle souvent la manipulation d'un cube de Rubik (le dernier livre de McKenzieWark s'intitule Gamer Theory ). Par exemple le premier chapitre, " Abstraction ", donne une définition générale de la notion, une politique de l'abstraction propre aux hackers, et un appel aux hackers à s'abstraire en tant que classe. " Le manifeste s'adresse à un sujet intéressé par sa propre auto-transformation ".
Abstraction, classes, éducation, hacking, histoire, information, nature, production, propriété, représentation, révolte, état, sujet, surplus, vecteur, monde : les titres des chapitres forment le lexique total du jargon de McKenzieWark, dont l'étrangeté vient du vocabulaire technique (hacker, vecteur, vectoraliste), et plus encore d'un usage déroutant de notions courantes (histoire, nature).
Il n'y a pas de documentation, de fonds de dossier, ni d'illustration littéraire. Les seuls noms propres sont ceux des auteurs cités explicitement. Le débat avec les autres théories est reporté dans les notes. Sauf quelques détournements bruyants, cet art bref use d'une écriture neutre comme celle d'un programmeur ou bien d'un juriste. Le manifeste ressemble à un jeu de cartes, un code, une coutume secrète.
En langue anglaise, le livre a été publié par les Presses de Harvard ; il a l'allure respectable d'un essai académique. Nous lisons la " Version française pour Criticalsecret par le collectif Club Post-1984 Mary Shelley & Cie Hacker Band ".
Pour une lecture aussi dangereuse, Gallien Guibert, le maquettiste, a choisi de surligner la métaphore du pavé littéraire. Il a conçu un livre énorme, le texte de chaque proposition, composé en gros caractères, occupant l'espace d'une page. L'absence de pagination impose de se référer au texte par les entrées logiques, numéros des propositions ou des notes.
Hacker
Chez Himanen, la généralisation de la figure du hacker passe par une diffusion de l'éthique des premiers hackers, les casseurs de code. Ainsi l'éthique hacker du travail comporte: un travail non prescrit par la hiérarchie, sans séparation entre la conception et l'exécution, avec une coopération directe.
McKenzieWark propose une orientation toute différente, en somme un retour aux classes sociales. Il y a une classe hacker en formation, définie, comme il le dit, de manière " crypto-marxiste ". La classe hacker a un adversaire : la classe vectoraliste. Elle se définit par sa position dans les rapports de propriété, ici, la propriété intellectuelle, mais aussi par une pratique commune, l'abstraction, et par une certaine tendance subjective.
La classe vectoraliste n'est pas le groupe des médiatiques. Localisée d'abord au croisement des industries culturelles et des industries de l'information, elle est plus précisément la classe qui maîtrise les réseaux comme forces de perception à distance et combine cette technologie avec l'appropriation de l'information. C'est le cœur de la domination, où les valeurs sont arrêtées et le consensus fabriqué.
Dans la propriété intellectuelle, l'auteur n'attaque pas le droit d'auteur, ni même le brevet, mais leur systématisation et leur extension à toute la culture et toute l'information, en même temps que la confiscation réelle des créateurs, petits ou grands.
Les hackers sont les bûcherons et les amoureux de l'abstraction. " Nous produisons de nouveaux concepts, de nouvelles perceptions, de nouvelles sensations à partir de données brutes. Quel que soit le code que nous hackons, serait-il langage de programmation, langage poétique, mathématique ou musique, courbes ou couleurs, nous sommes les extracteurs des nouveaux mondes ". McKenzieWarck détourne la formule de Marx sur le pouvoir d'abstraction réelle du capital, interprété par Deleuze comme force de déterritorialisation.
L'abstraction est donc conflictuelle. La subjectivité du hacker (et de la classe hacker) s'expérimente à l'occasion de ce conflit. Hacker est aussi le public qui refuse la tâche que lui assigne la classe vectoraliste, celle de sujet en tant que consommateur.
Les traits dogmatiques du personnage du hacker dessiné par McKenzieWark (esthétique, subjectivité, pratique, antagonisme, place par rapport à la propriété) tranchent avec l'indécision ou le pragmatisme habituel des théories critiques de la " société de l'information " (Voir, par exemple, Geert Lovink, Le principe d'inconnexion).
Cette franchise devrait déplaire.
Web - log
Richard Barbrook: The class of the new
NB: Le texte cité de Geert Lovink est paru dans "Philosophies entoilées", Rue Descartes n°55, coordonné par Paul Mathias, PUF, 2007
Amazing! A lot of these wow gold pebbles!
Rédigé par : wow gold | 08/01/2014 à 20:02
Impensable, je ne connaissait pas ce site, vous voila bookmarker !
Rédigé par : Travail a Domicile | 07/01/2014 à 13:49