Depuis longtemps, j’avais le projet de mettre ici des « textes de référence », et l’avais, d’ailleurs, annoncé imprudemment en décembre dernier.
Voici donc le premier de cette très petite bibliothèque numérique.
Il s’agit du chapitre XIV de « De la démocratie en Amérique », 1835-1840.
J’y ferai référence dans une note à venir sur les industries culturelles. De manière générale, les textes et leurs lectures seront publiés distinctement.
Alexis de Tocqueville
De l’industrie littéraire
La démocratie ne fait pas seulement pénétrer le goût des lettres dans les classes industrielles, elle introduit l’esprit industriel au sein de la littérature.
Dans les aristocraties, les lecteurs sont difficiles et peu nombreux ; dans les démocraties il est moins malaisé de leur plaire, et leur nombre est prodigieux. Il résulte de là que, chez les peuples aristocratiques, on ne doit espérer de réussir qu’avec d’immenses efforts, et que ces efforts qui peuvent donner beaucoup de gloire, ne sauraient jamais procurer beaucoup d’argent ; tandis que, chez les nations démocratiques, un écrivain peut se flatter d’obtenir à bon marché une médiocre renommée et une grande fortune. Il n’est pas nécessaire pour cela qu’on l’admire, il suffit qu’on le goûte.
La foule toujours croissante des lecteurs et le besoin continuel qu’ils ont du nouveau, assurent le débit d’un livre qu’ils n’estiment guère.
Dans les temps de démocratie le public en agit souvent avec les auteurs, comme le font d’ordinaire les rois avec leurs courtisans ; il les enrichit et les méprise. Que faut-il de plus aux âmes vénales qui naissent dans les cours, ou qui sont dignes d’y vivre?
Les littératures démocratiques fourmillent toujours de ces auteurs qui n’aperçoivent dans les lettres qu’une industrie, et, pour quelques grands écrivains qu’on y voit, on y compte par milliers des vendeurs d’idées.
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