la question : qui ?
Voici la troisième et dernière partie de cette enquête sur le blog et je serai loin d’avoir fait le tour de la question.
D’abord, j’ai examiné si le blog constituait un objet technique distinct. C’était, en somme, répondre à la question : comment ?. La première partie est donc centrée sur la place de la datation et de la présentation chronologique inversée.
Ensuite, j’ai regardé le : quoi ?, autour de la notion de journal, essayant de comprendre ce qui se jouait derrière ce « contenu » des blogs.
Dans cette dernière partie, j’aborde la question du collectif, de la communauté des blogueurs. Qui blogue ? Non pas dans le sens d’un inventaire des « usages », mais plutôt en demandant : celui qui blogue, qui est il au moment où il le fait ? Et j’insiste sur la notion de communauté ou de réseau des blogueurs.
la blogosphère, une communauté technologique
Une partie très consistante de la technique des blogs est allouée aux fonctionnalités d’écriture, de lecture ou de publication collective. Citons : le fil RSS, le pinguage, les blogrolls, les commentaires, sans oublier les moyens collectifs habituels du web : les liens, les agrégateurs, syndicateurs, annuaires, et moteurs.
Selon l’image du square ou quadrillage, donnée par Jennifer, la blogueuse citée par Danah Boyd, le blog croise les deux dimensions temps/espace.
Pour nombre d’auteurs de blogs « traditionnels », la principale contrainte est celle du temps, notamment pour ceux qui s’efforcent – le plus souvent désespérément de respecter le format « journal » (« diary »).
Pourtant mieux vaut faire, dès le début, le deuil de la fiction –du phantasme- d’un rendez vous quotidien avec les lecteurs, et même de tout rendez vous régulier. Comme le démontre la grève des kiosquiers, ce rendez vous doit être organisé dans l’espace : un quotidien de presse est quelque chose qui sort tous les jours, mais aussi qu’on trouve tous les jours, pour l’essentiel, au même endroit, dans le même kiosque.
Pour les blogs, cette disposition dans l’espace, suppléant l’impossible rendez-vous dans le temps, c’est l’affaire de la blogosphère.
La blogosphère est cette communauté technologique qui rend possible le blog, non pas sa production –ça, c’est affaire de généralisation/banalisation du weblog- mais son existence, sa vie.
La blogosphère est littéralement le milieu vital du blog.
C’est grâce au signalement, au référencement, aux commentaires des blogueurs comme lecteurs/auteurs, membres de la blogosphère, que chaque blog peut sortir de son isolement et se mettre à exister, donnant forme ainsi au mythe du selfmedia ; car si un media personnel ne peut viser, sauf exception, l’audience des mass-médias, encore faut-il qu’il ait une certaine audience, sinon il n’existe plus comme media, mais seulement comme exercice.
Trois points surtout doivent être rappelés :
- le rôle décisif des médiateurs, de ceux qui ont succédé pour le blog aux pionniers des weblogs, et accompagnent les blogs, surtout dans leurs premiers temps,
- le fait que les auteurs de blogs en sont aussi les premiers lecteurs, et commentateurs,
- la place apparemment mécanique (elle ne l’est pas du tout) que la blogosphère a prise dans les moteurs de recherche.
le lecteur de 4 h 50
Je peux me rappeler un certain nombre de choses que j’ai faites à quatre heures du matin, comme : traverser Paris en scooter pour aller ouvrir une usine en sifflotant Dutronc, ou « profiter de la marée pour sortir relever les casiers », ou « s’enfiler une soupe à l’oignon » quand les halles étaient le centre psycho-géographique de tout ce qui remuait dans la ville, ou « finir rapidement le 29 » avant d’arriver à Rennes avec l’équipe ambulante de tri postal.
Mais quels que soient mes efforts, je ne me souviens pas d’avoir fait aucune lecture à cette heure, ni écrit aucun commentaire, et certainement pas avant de me coucher. Même pour la lectio divina, c’est un peu tôt. Pourtant un tel lecteur existe et je m’enorgueillis qu’il lise mes propres textes.
Jqsmdlk rédige son commentaire et le publie à « 4h50 am », comme on dit chez Typepad; puis il va se coucher.
Je conclus de cet exemple qu’avec de semblables lecteurs, les auteurs de blogs n’ont pas besoin de se soucier de leur périodicité.
déplacements
Et, ce qui n’est pas un effet du hasard, puisqu’il est un lecteur de blog averti, Jqsmdlk précise ceci: en fait les commentaires ne sont pas toujours des commentaires.
Il livre même une sorte de théorème paradoxal sur l’économie de la blogosphère :
« Parfois il est plus important d’être présent dans les commentaires des autres que sur son propre blog ».
…
Bien qu’ils soient systématiquement repris par la presse, je ne trouve pas que les tentatives pour classer les blogs en différents genres soient ni solides, ni vraiment utiles.
Une fois de plus, il s’agit de raisonnements par analogie, revenant à définir le blog par rapport aux médias antérieurs.
Je crois qu’au contraire ce n’est pas le classement, mais le déclassement ou le reclassement qui est intéressant : en quoi le « genre » ou les commentaires sont différents sur le blog de ce qu’ils sont sur d’autres supports.
Un jour, les blogs seront en effet stabilisés en quelques grands genres conventionnels et les commentaires devront respecter des normes d’écriture. Mais pour le moment, ce qui est intéressant, c’est le jeu, le déplacement opéré par les auteurs ou lecteurs.
un autre
Prenons l’exemple des blogs d’hommes politiques.
Même d’un blog personnel, nous ne pouvons nous attendre à voir exposer l’intimité d’un politique important et à lire ses commentaires au fur et à mesure de ses rencontres.
Comment expliquer alors le sentiment d’authenticité qu’exprime cette annotation d’Alain Juppé, le soir du vote référendaire : « Pour la première fois de ma vie d’homme, je ne voterai pas. » ?
Tout son blog n’est pas placé sur le même registre d’intimité. Admettons aussi que même un républicain convaincu ne croit pas spontanément à l’authenticité de l’authenticité des politiques. Je dirai simplement que la forme blog permet à l’ancien Premier ministre de déplacer l’exposition de soi des personnalités politiques, habituellement structurée par les mass médias. Nous le croyons parce qu’il est différent.
Evidemment, cette tactique du déplacement peut s’exercer dans l’autre sens, vers plus de mise en scène.
Certains sont ainsi tentés de détourner à leur profit l’économie collective de la blogosphère.
Mais ce thème du déplacement me suffit pour donner une première réponse générale à la question : qui est qui sur le blog ?
Un autre.
skyblogs comme phénomène
Dernière citation du commentaire de Jqsmdlk : « Skyblogs n’est pas vraiment un bon exemple. »
Peut être mais pour autant qu’il s’agisse d’étudier la dimension collective des blogs, il serait assez paradoxal d’écarter la plus grosse « communauté ».
Si d’autre part, ce type de blogs diffère sensiblement de ce que nous prenons comme modèle (s) des blogs, il est intéressant de voir en quoi, et de chercher si, finalement ils constituent un anti-exemple?
Skyblogs, les blogs hébergés sur le site de la radio Skyrock, représentent plus de 2 Millions de blogs. Ce chiffre est sensiblement équivalent à celui de la base Skynautes, qui annonce aussi 740 000 abonnés à sa lettre électronique, et encore 750 000 pour ceux (les mêmes, d’autres ?) qui acceptent de recevoir de la publicité, élément non négligeable puisque c’est elle qui fait marcher l'ensemble.
(Chiffres donnés par Skyblogs à la rubrique « annonceurs »)
Impressionnants en absolu, ces chiffres le sont encore plus (trop ?) relativement au total des blogs français dont ils représentent les deux tiers, le total mondial étant évalué autour de 12 millions.
Les sites ont une durée de vie apparemment plutôt brève, ce qui n’est pas propre aux seuls skyblogs. Il y a une quantité importante de blogs vides et de blogs ne comportant qu’une page, c’est à dire des essais. Le nombre de sites actifs est certainement très différent des 2 millions affichés et repris sans distance par des commentateurs.
génération numérique ?
Pierre Bellanger, le patron de Skyrock définit ainsi sa clientèle : « C’est la première génération numérique ».
Je me borne à explorer le qualificatif « numérique ».
L’usage des hyperliens est parlant.
Tous ceux qui ont une petite expérience de l’enseignement de l’hypertexte connaissent ce contraste entre la facilité apparente à manier le lien et la difficulté profonde à l’utiliser pour structurer un texte.
Sur les blogs que j’ai regardés, les liens n’ont pas de fonction d’organisation du site, et ne servent pratiquement jamais pour renvoyer sur des sources.
Pour l’essentiel, comme le souligne Olivier Trédan , les liens fonctionnent comme des liens latéraux renvoyant vers les blogs des proches. Skyblogs limite le nombre de liens externes, mais la plupart du temps cela ne doit pas être nécessaire.
La place respective du texte , des images et du son va dans le même sens.
Il n’est pas très étonnant que les jeunes et les adolescents éprouvent les mêmes difficultés à écrire et publier que les adultes blogueurs. Nous sommes presque toujours loin de l’idée d’une publication régulièrement mise à jour.
Le recours aux photos et autres illustrations est fréquent, encouragé d’ailleurs par le format retenu par l’hébergeur.
La forme album est très répandue et l’emporte de loin sur celle du journal intime.
nous deux millions
Mais l’interrogation sur la « génération numérique » doit être poussée au delà des moyens d’expression, jusqu’à une interrogation sur la communauté skyblogs (« skyrockblogs » si Skyrock perd son procès contre BSkyB).
Le premier point, c’est que le monde des skyblogs – peut être le monde des blogs-de-jeunes- est cloisonné, séparé du monde générique de la blogosphère – peut être du monde des blogs-adultes. On trouve peu de liens des autres sites vers les blogs de skyrock et inversement ; ces blogs sont rarement référencés par les moteurs dans leurs premières pages.
Pour autant les skyblogs ne forment pas « une » communauté à première lecture. La stratégie de l’hébergeur ne semble pas être de donner au groupe une visibilité, par exemple en structurant la lecture. Au delà du signalement des différents « tops », sur la page d’accueil, les blogs inconnus ne peuvent être repérés que par la relance de la fonction recherche.
Je ne sais pas s’il s’agit d’une « génération numérique », en tout cas, il ne s’agit pas d’une communauté hypertextuelle.
Pour les liens eux même, Olivier Trédan a été à l’essentiel : les liens entre blogs renvoient sur le groupe d’amis, la tribu ; ils simulent le passage du « moi » au « nous » et permettent l’exposition de l’ « entre-soi ».
Loin de l’idée (je parle de l’idée courante en français) de communauté virtuelle, skyblogs est plutôt le théâtre où une autre territorialisation possible est jouée par les jeunes.
pas extra intime juste intime
La question du journal intime revient ici : quelle est la frontière entre espace public et privé ?
Les skyblogueurs – le plus souvent des jeunes filles- qui s’expriment sur cette question, n’ont pas besoin d’avoir lu des recherches universitaires pour se demander « Voudriez vous laisser 60 millions de personnes lire votre journal intime ? ».
Parfois le contrat d’écriture est précisé : « Voilà ce skyblog est mon journal intime, donc je ne mettrai pas de photos et je ne donnerai pas mon nom » (ji08) .
Ma citation préférée est la suivante :
« voila c'est comme un journal intime les articles ne seront pas extra intime juste intime mais je vous previens que si vous n'avez pas que ça a faire d'ecouter des histoires de collegiennes comme moi vous n'avez rien a faire ici desolé mais les autres bonnes lecture ».
Avec pas mal de conséquence, journal-intim1 est resté vide, comme ji08.
Finalement, sans disposer de vraies bases « scientifiques », j’ai le sentiment que la catégorie « journal intime », y compris sous la forme de détournements ne permet pas de rendre compte de ce que sont les skyblogs.
Le caractère plus ou moins effectif des journaux intimes sur skyblogs n’est nullement une affaire secondaire. Se raconter pour mieux se connaître est un exercice qui participe de la « culture de soi ». (Pour un développement d’universitaires américains sur ce point, voir « Blogging as social action : a genre analysis of the weblog »).
industrialisation de l’intimité
Jusqu’ici je n’ai pas mentionné la circonstance que Skyrock, loin d’être un simple hébergeur technique, ou télécom, était une radio musicale. Ce point à mon sens explique déjà en grande part les orientations techniques adoptées pour le site.
Mais surtout il rend compte des références culturelles partagées, pour l’essentiel, par les skyblogs.
Il s’agit de l’habituelle culture World Ado, telle qu’elle est promue sans relâches par les industries audiovisuelles.
Sur ce point, pas de différence avec les blogs de TF 1 autour de la Star Academy.
Star Ac est peut être un peu plus explicite en matière de « préparation des cerveaux » : concurrence « éducative » (il s’agit d’une académie, d’une école, qui transmet des recettes et impose une discipline), identification raide (sélection des stars), hyper-téléréalisme (les stars ou concurrents sont supposés via leurs blogs d’un jour discuter avec leurs fans), idolâtrie et fanatisme commercial.
Sur Skyblogs, la culture World Ado est diffusée de haut en bas, essentiellement à partir de la page d’accueil et des tops, à travers des thèmes et des propositions d’identification.
Pêle-mêle, ces derniers jours : beaux gosses, belles filles, top-models, rap, manga, gothic, gros cœur, ongles, Paris Hilton, Brice de Nice.
Des marques occupent sans vergogne le terrain, la gestion de leurs blogs étant parfois déléguée à ces équipes de rues ou agents de changement décrits par Naomi Klein et qu’on voit ici en pleine action.
Les pseudo blogs, à la fois blogs d’appel commercial et feuilles de style pour les apprentis blogueurs, me semblent bien représentés dans cette page de tops, porte d’entrée sur les skyblogs. Une recherche sur « no logo » s’avère purement déplacée et vous rapporte au contraire, « plin de logo » « un paradi de logo lol ».
Le succès de Skyrock comme radio musicale est dû à sa capacité à capter certains des traits psychologiques et affectifs les plus caractéristiques du World Ado.
De ce point de vue, la psychologie de masse des Nouveaux informe tout autant les programmes et orientations de Skyrock, qu’elle est informée par la stratégie commerciale de la radio.
Parlons ici de sensibilité : provocation, transgression, mais aussi : auto-dépréciation, et forte tendance dépressive (« angels ») ; la tristesse n’est pas toujours une posture.
Y a-t-il au sein de cette culture World Ado que portent les skyblogs , la détournant en quelque sorte, des éléments d’une culture de soi démocratique ? Je ne le sais pas.
Textes cités ou utilisés, et autres références
Danah Boyd, « Broken Metaphors : blogging as liminal practice »
Anne-Claire Orban, “Je blogue, tu blogues, nous bloguons” CLEMI
Bonnie Nardi et alii, « Blogging as social activity, or, would you let 900 million people read your diary »
Olivier Tredan, “Les weblogs dans la cite: entre quête de l’entre-soi et affirmation identitaire »
Martin Lessard « Blog versus Geocities »
Equipes de rue, agents de changement et bro-ing à la française : un exemple, Fèche et ses potos
Naomi Klein "No Logo. La tyrannie des marques" J'ai lu.
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Vous faites fort, en brassant joyeusement les arguments de méthode, d'autorité et de fond. Je ne réponds qu'aux derniers.
Le point d'analyse sur lequel il serait intéressant de "construire un désaccord" est la question de "l'industrialisation de l'intimité" que vous qualifiez rondement de contre-sens. Ce désaccord, je le présente autour de trois bifurcations.
Vous dites (commentaire): "Le fait de porter telle tenue vestimentaire, d'écouter telle musique dans un lieu public est il différent du fait de s'exposer sur un skyblog,"
A cette question, on doit répondre de deux façons:
Il s'agit bien, dans les deux cas, de pratiques d'exposition, de présentation de soi (ça n'est pas différent).
L'écriture/publication d'un blog ne doit pas être réduite à cette seule exposition de soi (c'est différent).
Tenue vestimentaire, musique: pourrait-on trouver quelque bien qui soit plus industriel, quelque pratique de consommation/loisirs qui soit plus organisée par l'industrie et plus significative de l'orientation culturelle de l'économie?
C'est pourquoi j'ai évoqué les pseudo-blogs des agents de changement du marketing viral, et les tops. Dans ces deux exemples sont inextricablement mêlés figures d'identification, enrôlement par les marques, et modèles d'écriture.
A ce stade, il ne fait pas de doute pour moi que nous sommes en face d'une tendance forte à l'industrialisation de la présentation de soi. Première bifurcation.
Il m'a donc semblé logique de passer à la question suivante: y-a-t-il, au delà de l'industrialisation de la présentation de soi, une industrialisation de l'intimité?
Votre position n'est pas seulement un refus complet de l'idée d'"industrialisation", elle consiste aussi à assi-miler "intimité" et "affirmation identitaire", tout comme vous semblez croire qu"individu" et "industrie" soient antagoniques.
Poser la question de l'intimité n'est pas aberrant puisque les blogs s'annoncent sous la double figure du self-media et du journal personnel/intime.
Se raconter pour se (re)connaître, c'est bien une pratique caractéristique de l'intimité. Ici la référence à Foucault n'est pas une cuistrerie, mais une nécessité; elle ré-ouvre une question oubliée, et même, visiblement, écartée.
La question de l'intimité se divise en deux: les jeunes utilisent -ils (elles) ces (sky)blogs comme techniques de soi pour une écriture de soi? l'industrie culturelle (skyblogs/skyrock) encadre-t-elle, contrôle-t-elle cette écriture et donc cette intimité?
En gros, je répondais "oui" aux deux questions. Après enquête sur les skyblogs, mon premier oui est devenu très prudent, et l'autre plus catégorique.
En revanche, reprenant votre texte à partir de votre commentaire, j'ai réalisé que la seconde question n'existe pas pour vous. C'est notre dernier point de désaccord, peut être le plus fondamental.
Nous essayons tous les deux de voir ce que signifient les skyblogs comme blogs de jeunes.
J'essaie de ne pas oublier que ces blogs de jeunes sont des skyblogs.
C'est ainsi, par exemple, que "le degré maximal de fermeture de la plateforme de Skyrock", selon votre formule, est pour vous sans effet, n'entre pas en relation avec le processus d'"affirmation identitaire" ou l'intimité.
Vous dites que la pratique des skyblogs "concourt à la création...d'une sphère privée au sein de l'espace familial propre aux adolescents" et vous en tenez pour "l'affirmation de soi", non seulement au sein de la famille, par rattachement au groupe d'amis, mais au sein du groupe lui même.
Comment ignorer que cette sphère privée de l'adolescent forme aussi une conduite organisée selon les instructions de l'industrie culturelle, qu'elle est "propre aux adolescents" comme une marque de tennis, ou un tube de Star Ac, et que, dans ce cas précis, elle est un élément clé de la stratégie de Skyrock? A partir de quoi poser que cette affirmation de soi va dans le sens de l'autonomie, quand tout montre qu'elle est étroitement formatée.
Alors, y-a-t-il une "possible culture adolescente"?
D'un certain point de vue, il n'y a que cela: une culture "jeunes" nécessaire, imposée.
Y a-t-il une marge d'autonomie pour les jeunes, par rapport aux modèles et aux procédures de contrôle? Je ne vois pas l'industrialisation de l'intimité comme totale dans son principe, ni comme achevée dans son extension, ni comme massifiante ou uniformisante. Le jeu, le détournement, la liberté, je ne les ai pas beaucoup vus sur skyblogs, mais je les conçois, je ne les écarte pas a priori.
Rédigé par : alain giffard | 14/06/2005 à 22:21
Deux ou trois remarques sur le sujet. Une première concerne le sujet même et le danger réel de se faire imposer une problématique. D'où la nécessité de déconstruire les objets étudiés. La blogosphère, par exemple. Il s'agit d'une représentation, d'un "territoire" virtuel, vécu par le jeu des parcours sur la toile, représenté autour d'une pratique jugée légitime. Il est ainsi remarquable que les blogueurs se réclamant de la blogopshère sont parmi les pionniers. Le capital symbolique de ces pionniers de la blogopshère provient de leur position et de leur capacité à imposer une représentation légitime de leur pratique. Or cette représentation, finalement ce territoire, tend à se réduire au fur et à mesure que le phénomène prend de l'ampleur.
Autre aspect concernant, les skyblogs cette fois, la compréhension d'un phénomène n'est que très partielle si l'on ne prend pas un minimum de recul. Comme toute banalisation technologique, celle-ci provient d'une acculturation de la technique et d'une intégration dans des pratiques sociales quotidiennes. Les processus d'individualisation et de privatisation de la consommation médiatique et des pratiques de communication sont particulièrement saillantes chez un public adolescent. Ces valeurs d’usage trouvent leurs origines dans une transformation des modes de régulation des sociabilités au sein de l'espace public. Il n'y a en tout cas pas d'"industrialisation de l'intimité". Il s'agit là d'un contre-sens, du fait d'une position média-centrée. La mise en scène de soi n'est pas finalement quelque chose d'exacerbé comme les pratiques adolescentes les laisseraient supposer. Il s’agit davantage d’une transformation de notre regard. Les transformations d’une présentation de soi sont connues et analysées dans une perspective historique (cf. Richard Sennett, La tyrannie de l’intimité) Il y a une continuité entre les manières de se présenter et de ses effets dans un espace physique et virtuel. Le fait de porter telle tenue vestimentaire, d’écouter telle musique dans un lieu public est-il différent du fait de s’exposer sur un skyblog ? Ce qu’il a d’intéressant dans le phénomène skyblog, c’est que la manière de voir que le blog ne constitue qu’un espace de plus d’affirmation identitaire. Ce qui semble plus intéressant, c’est de mettre en perspective une possible « culture adolescente » et de la discuter à la fois à travers l’observation des blogs et par d’autres voies.
Cette ou ces cultures nécessitent alors de s’interroger sur les effets potentiels de la consommation médiatique, et particulièrement des blogs, sur les pratiques des adolescents. Quelle représentation quant aux statuts de l’information diffusée sur les blogs ? Finalement moins qu’une industrialisation de l’intimité, c’est une introduction de l’émotion et de l’expérience dont il convient d’interroger les effets.
Rédigé par : olivier trédan | 10/06/2005 à 18:44