lecture et mémoire : à partir de Hugues de Saint Victor
Enfin une terre étrangère est proposée, car elle aussi exerce l’homme. »
Ici, conformément à la technique de l’épilogue ou récapitulation, nous avonsle texte comporte un titre bref, et débute par un résumé, à la manière de nos abstracts.
Le résumé indique un emplacement : « enfin » ; le passage se situe à la fin, il clôt la première partie du Didascalicon consacré aux arts. « Enfin » ne signifie pas, banalement que la première partie s’achève ; c’est un indice de mémoire : la bonne place, pour le thème de l’exil, est ici aux limites de la première et deuxième partie.
Hugues est « exilé » aux portes de la cité – c’est ainsi que le représente certaines miniatures- et son enseignement fait passage entre les arts et les écritures sacrées. Situation habituelle des étudiants, l’exil est ici proposé comme règle de vie, et spécifiquement comme exercice, au même titre que la pauvreté. Il faut donc que Hugo démontre certaines qualités de l’exil propres à en faire, en général, un exercice pour l’homme.
(2) « Le monde entier est un exil pour ceux qui philosophent. »
Citation de Sénèque dans les Epistulae morales LXVIII et CII.
Sur les six fragments ici individualisés, le texte comporte quatre citations (2, 3, 6).
La phrase de Sénèque, non cité mais repérable pour un lettré du Moyen-âge, est un quasi lieu commun. Sénèque était considéré comme presque chrétien. Le sage est exilé : c’est le point de départ du texte.
(3) « Parce que, comme dit le poète :
Et ne leur permet pas de l’oublier », »
(4) « C’est un grand principe de vertu pour un esprit exercé d’apprendre peu à peu d’abord à changer ces choses visibles et transitoires afin de pouvoir ensuite les abandonner. »
Il y a donc une sorte d’antilogie entre les deux fragments, la citation d’Ovide, et ce passage de nette inspiration augustinienne. Elle ne se lève qu’à condition de lire ainsi : Ovide, étant ce qu’il est, n’a pas manqué d’illustrer une morale séduisante mais critiquable et c’est à tort qu’il occupe littérairement la position psychologique de l’exil.
(5) « Il est encore bien délicat celui à qui la patrie est douce ; il est déjà fort celui pour qui toute terre est une patrie ; mais il est parfait celui à qui le monde tout entier est un exil. Le premier a attaché son amour au monde ; le second l’a disséminé ; le troisième l’a éteint. »
Ce que développe ce cinquième fragment qui met en place la théorie chrétienne de l’exil, du détachement du monde.
Hugues tenait à cette conception pérégrine du christianisme.
Dans le De Archa Noë, s’appuyant sur le Livre de Job « J’ai vu le sot affermi par de profondes racines et j’ai dans l’instant maudit leur éclat », il utilise un classement ternaire, très proche de celui du Didascalicon pour qualifier les différentes attitudes à l’égard de la foi (infidèles, faibles, fidèles) d’après leur attachement aux racines.
Ainsi Ovide n’a-t-il été précisément évoqué que pour céder la place à Augustin.
Et, puisque la position du parfait est identique à celle du philosophe selon Sénèque, la démonstration de Hugo semble pouvoir être reconstituée ainsi : avec l’aide d’Augustin (4,5), confirmer Sénèque (2), malgré Ovide (3) qu’on ne peut éviter.
(6) « Pour moi, j’ai quitté ma patrie dès l’enfance, et je sais avec quelle tristesse parfois l’âme abandonne l’étroit domaine d’une pauvre chaumière ; avec quelle liberté elle méprise ensuite les demeures de marbre et les toits lambrissés. »
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