culture : un relevé
05/12/04
Ce texte surprendra peut être les lecteurs réguliers de ce blog. Ici je ne donne pas de références, et peu d’arguments.
Je propose seulement un relevé des lieux, sachant qu’il est de multiples manières de les habiter, ou d’être habités par eux.
label culture
Pas de place ici aux questions soulevées à l’intérieur de ce qu’il est convenu d’appeler le débat « sur le label culture » : on voudra bien entendre la notion de culture dans une acceptation « anthropologique » : spiritualité, religion, art, science, éducation, tradition ; avec quelques autres, j’élargis à : technologie, et droit.
Que cette conception elle même soit discutable (à discuter), qu’elle soit aussi une construction culturelle ne fait pas obstacle à ce qui se veut plutôt une description qu’une analyse.
identité
Ce qui joint la politique et la culture, c’est l’homme.
La politique ne sait traiter la culture qu’en la cantonnant : exception, différences, cahier des charges, supplément.
Or la culture est cette dimension qui traverse la totalité des représentations, énergies et volontés politiques.
Elle en est la face cachée dès lors qu’on conçoit le gouvernement comme l’agencement de procédures qui, pour l’essentiel, sont des manières administratives générales, et, comme on dit, consensuelles.
Mais la culture est aussi, à travers le droit, c’est à dire à travers l’ignorance du droit, la face cachée de ces procédures.
Comme un dépressif qui ne se soigne pas « parce qu’il ne croit pas à la psychiatrie », la politique, les politiques sont malades de la culture, malades de « ne pas y croire », malades par ignorance.
Les questions d’identité en sont un exemple facile, direct, classique par bien des aspects, avec leurs deux volets : configuration de l’identité, qui est en quelque sorte une question d’espace, et relation du singulier et du collectif, qui est en quelque sorte une question de temps.
Le champ politique est ici traversé de sujets et d’objets culturels qui lui sont inouïs, par exemple en matière religieuse : une église uniate d’Ukraine, une ville sainte d’Irak, un imam wahhabite à Vénissieux, une cabbale hollywoodienne, des péchés mortels ou des avis religieux.
Les logiques de ce que le Moyen Age appelait les affaires, choses et biens spirituels, les spiritualia débordent un domaine politique affecté au temporel, où pourtant le maître s’imagine maître de son imaginaire.
Aussi échoue-t-il sur des sujets habituels, presque banals : la laïcité, l’articulation de la communauté et de la citoyenneté, l’organisation des différentes identités.
Il n’y a pas de gouvernement des choses ; il n’y en aura jamais. Et le gouvernement des hommes nécessite la reconnaissance de la culture ; reconnaissance c’est à dire identification et savoir, mais aussi humilité et respect.
Pouvoir compter sur ce que sont les hommes, plutôt que d’agencer interminablement les procédures qui leur interdisent ou leur imposent de faire.
Et commencer par ne pas encourager ce qui empêche les hommes d’être cet homme là.
Ce qui vient d’être évoqué à propos de l’identité le serait aussi bien à propos de la sécurité, des pollutions, de la santé publique ….
industrie culturelle, industries culturelles
A la différence de la politique, l’économie ne cantonne pas la culture, elle ne l’ignore pas ; elle s’en saisit, elle devient culturelle.
Deux mouvements se croisent : le développement des industries culturelles comme secteur économique spécialisé et l’orientation culturelle générale de l’ économie.
Dès le début du XXème siècle, l’économie se détourne de l’homo economicus, du consommateur rationnel, de l’utilitarisme. Le marketing, l’économie « orientée consommateur » réussissent à industrialiser, en même temps que les nouveaux produits, les désirs de masse qui leur correspondent. Ce n’est plus le produit qui tire la marque, mais la marque qui tire le produit ; la marque, c’est à dire une identité et une manière de vivre, un système d’appartenance et d’affects, une rhétorique, un style, bref, une culture.
A priori la « satisfaction des besoins élevés de l’homme » et la création de besoins artificiels par l’industrie ne devraient pas fusionner facilement. C’est ici que les industries culturelles viennent seconder l’industrie culturelle. Elles sont l’école où le consommateur accepte de se faire dresser par la culture industrielle, résilie le peu qu’il a appris, et finit par prendre pour ses désirs les réalités bien marketées.
Il n’est pas facile de démêler entre la misère cognitive et la misère affective laquelle est la première. Il s’agit typiquement d’un point où la « construction de désaccords » serait nécessaire.
Je crois qu’on perd la grammaire avant de perdre la boule. Les maladies de l’esprit préparent les maladies de l’âme. Ce qui est au moins clair c’est que l’audiovisuel de loisirs – le cœur du dispositif des industries culturelles- n’a de cesse d’épuiser la transmission culturelle, en particulier l’école, de lui susciter la rivalité d’une contre culture qui n’est ni divertissante, ni populaire, et prend comme principe la transgression de toutes les valeurs culturelles.
Cette critique a certainement le défaut d’être elliptique mais elle se distingue assez visiblement des dénonciations de la « marchandisation ».
Oui, le marché, l’économie peuvent favoriser la culture. Mais, ici et maintenant, la convergence des industries culturelles et de l’orientation culturelle de l’économie abîment la culture, c’est à dire notre monde commun, et la vie de celles et ceux qui ont choisi ses valeurs.
méthode
Il me semble que deux points de méthode pourraient être retenus.
Le premier serait la séparation des domaines (politique, économie, culture), la reconnaissance d’une autonomie du domaine culturelle, la légitimité d’une évaluation culturelle. Donner toute son importance à une bonne politique ou une bonne économie culturelle, mais marquer la distinction avec l’approche culturelle spécifique.
Prenons l’exemple de la candidature de la Turquie à rejoindre l’Union Européenne. Différents raisonnements politiques peuvent être retenus et débattus. Mais dès lors que l’argument de l’identité est posé, en un sens ou un autre, non seulement le savoir requis, le type d’analyse, mais aussi le contenu de l’évaluation sont d’ordre culturel.
Un exemple qui fonctionne différemment : le débat sur l’enseignement de la littérature, notamment par rapport à celui de la lecture. Il est culturel de part en part, constitué par la tradition culturelle, structuré par des références de ce type. Il est intraitable dans le cadre des procédures politiques régulières.
De manière générale, la logique d’évaluation est centrale.
Pour l’économie, elle opère pour l’essentiel par les prix. Pour la politique, elle repose sur l’assentiment des citoyens, le point de vue de la majorité, l’accès du plus grand nombre et sa satisfaction.
Mais l’évaluation culturelle, notamment esthétique, n’est pas de cet ordre là. Qu’il y ait différentes logiques, éventuellement contradictoires, et même interrogation sur les « critères » ne fait pas ici problème : ce qui permet de trancher, ou de comparer les jugements, ce n’est pas le prix de l’œuvre ou la taille de la file d’attente, c’est une discussion, une délibération de type culturel.
Le deuxième point de la méthode reviendrait à aborder notre relation à la culture comme monde non pas sur le mode de l’appartenance, mais sur celui de l’expérience, là où se nouent, premièrement, le savoir culturel (au sens large incluant aussi les savoirs-faire), deuxièmement les normes (non seulement intellectuelles et artistiques, mais aussi le droit et la technique), enfin les formes de subjectivité avec leur mise en pratique.
Le point de vue de l’expérience est celui qui permet de penser la question culturelle comme telle c’est à dire nécessairement du point de vue de l’art.
C’est aussi par l’expérience qu’il faut approcher la situation nouvelle créée par la convergence de l’orientation culturelle de l’économie et des industries culturelles, la formation des « nouveaux » sous le signe de cette convergence, et les formes de subjectivités qui s’y opposent.
Le travail dont je rend compte, ici, sur le droit des lecteurs, peut être considéré comme une contribution particulière à la description de ces formes nouvelles de subjectivité culturelle.
Voir aussi sur ce site :
Tradition
http://alaingiffard.blogs.com/culture/2004/07/tradition.html
Les nouveaux
http://alaingiffard.blogs.com/culture/2004/07/tradition.html
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