HYPERTEXTE, AUTORITE, ESPACE PUBLIC 2
DEUXIEME PARTIE
(Ce texte reprend la deuxième partie d’une intervention orale faite lors d’un Séminaire de la Fondation des Treilles, à Tourtour, en mai 2000. Ce séminaire portait sur les supports de la mémoire.)
DU COTE DU LECTEUR
31/ Après avoir présenté la question du côté de l'auteur, je l'examine maintenant du côté du lecteur.
32/ Affaire Shlashdot contre Microsoft // Le libre, l'hypertexte et la priorité au lecteur
Cette affaire opposait Microsoft et le forum de discussion Shlashdot. La société américaine reprochait au forum d’avoir laissé reproduire dans une contribution un extrait de sa littérature technique.
Cette affaire est assez compliquée, puisqu'elle réunit et combine la quasi totalité des débats actuels sur l'espace public numérique : opposition entre le copyright et le droit à l'expression, qualification conflictuel des usages de citation et de lien, et, enfin, c'est le point que je retiens pour le moment, conflit entre la conception propriétaire, patrimoniale du logiciel et du texte et la conception dite du libre.
Les expériences éditoriales conduites à partir des forums reposent sur un collectif nécessairement limité, et au minimum sur un élément de contrat qui est la décision libre de chaque auteur de participer au forum.
Alors que le projet technologique de l'hypertexte est de construire un modèle qui va permettre non seulement la structuration et la lecture hypertextuelle d'un texte ou d'un ensemble de textes donnés, donc d'un auteur singulier ou d'un ensemble plus ou moins important d'auteurs, mais bel et bien de l'ensemble des textes, de la totalité des textes.
Ce modèle de communication généralisée des textes correspond bien à la notion d'interconnexion généralisée des réseaux, donc des machines, donc des hommes, qui est celle de l'Internet, et l'hypertexte s'est réalisé ici sous la forme du WWW.
Mais c'était l'hypothèse de départ de Nelson.
Les deux fondateurs de l'hypertexte, Nelson et Van Dam s'opposaient sur deux alternatives : d'une part, un hypertexte wysiwig, c'est à dire un hypertexte à sortie papier, thèse de VanDam, et un hypertexte écran, totalement numérique, thèse de Nelson ; et d'autre part, opposition entre un hypertexte restreint, une œuvre ouverte mais bien identifiée, un texte-auteur, comme il y a des langages-auteur (Van Dam), et le modèle d'un dépôt universel des textes (Nelson).
La relation entre les deux alternatives est assez évidente pour qu'il ne soit pas nécessaire d'insister. Avec le WWW, c'est le modèle Nelson qui s'est trouvé réalisé, peut être sous une forme rustique, mais homogène et cohérente.
Evidemment, la gestion d'un grand nombre d'auteurs pose immédiatement la question de la gestion des droits qu'on ne peut résoudre que de trois façons : délégation (figaro), identification (sociétés), création d'un quasi domaine public ou d'un " libre " du texte.
Lorsque l'on croise le succès de ce modèle technologique, le WWW, avec un autre succès, et un autre modèle, Linux ou GNU, pour simplifier, on se trouve en face de deux difficultés, qui sont celles de la philosophie du libre dans le domaine des textes, de son propre régime d'autorité.
Première difficulté : elle est qualitative et correspond à ce que le droit français appelle le droit moral.
La transformation d'un élément de logiciel ne peut nuire à l'auteur initial puisqu'il garde la possibilité de ne pas l'intégrer. En revanche, des textes en source libre peuvent fort bien être associés avec d'autres textes d'une orientation radicalement contradictoires.
C'est d'ailleurs sur ce constat que s'appuient, dans un contexte différent, les journalistes pour s'opposer aux pratiques d'agrégation des contenus.
Deuxième difficulté, elle est en quelque sorte quantitative. Le nombre d'informaticiens concernés par le développement d'un logiciel donné est nécessairement limité. Il est comparable à celui des utilisateurs d'un forum, et c'est bien pour cela que l'hypothèse d'une extension de la philosophie du libre s'est développée dans ce secteur.
En revanche, il est sans commune mesure avec la dimension du public de lecteurs de certains textes d'information, ou même de textes littéraires connus.
Il ne s'agit plus alors de recomposer un éditeur, ni même d'organiser un auteur collectif, mais d'instituer sur des bases radicalement différentes les usages et les droits du lecteur en général, comme lecteur-auteur.
Nous sommes donc très clairement dans cette hypothèse, empruntée par les hypertext studies au post structuralisme, d'une priorité au lecteur.
Avant d'être devant une question de droit, nous sommes devant une alternative cognitive : opter pour une extension et une radicalisation de la lecture ; ou bien la limiter à son usage actuel, voire la restreindre en raison des effets négatifs du numérique sur la propriété littéraire, en privilégiant la création et la diffusion des oeuvres.
Pour examiner ce que pourrait être la structure d'un nouveau droit du lecteur-auteur, il faut en examiner certaines composantes pratico-techniques.
C’est ce que je vais essayer de faire dans les exemples suivants, autour de trois thèmes : la copie, la citation, le lien.
33/ Propriété littéraire : directive européenne et acte américain / / La copie numérique
Le gouvernement américain, à la demande d’Hollywood, avait fait passé une législation limitant les copies privées numériques. La Commission européenne travaillait sur une directive qui, sur ce point, pouvait aller dans le même sens.
Le sujet de la copie numérique est large.
Je me limite ici aux pratiques de copie dans le cadre de la lecture et de l'écriture hypertextuelle.
Premièrement, la copie, la version, l'instanciation du texte sont au cœur de la technologie hypertexte.
L'hypertexte a partie liée avec cette prolifération verticale du texte que le traitement de textes avait suscitée. Le dispositif conçu par Engelbart cherchait à maîtriser l'évolution, à travers différentes versions, des documents de conception des programmes. C'est un problème de traitement des variantes, que l'on retrouve par exemple avec les éditions génétiques.
Deuxièmement, la copie numérique privée est à la base de la constitution d'hypertextes personnels, par exemple d'archives.
Mais, de manière très générale, la copie numérique est utilisée dans tout le traitement de textes.
C'est bien pourquoi l'abandon du principe d'exception de copie privée pour un passage à l'autorisation de copie privée, conforme à la vision patrimoniale du droit d’auteur connue comme propriété littéraire, serait nécessairement une restriction de l'usage de la lecture informatisée.
Techniquement, on peut considérer que la lecture informatique impose la copie numérique.
Mais c'est dans une forme particulière de copie numérique que le modèle de l'hypertexte joue le plus spécifiquement : la citation.
34/ Net2One, éditeurs de presse, Geste // La citation et son droit
Dans cette affaire, les éditeurs de presse, et un organisme représentant la presse en ligne s’opposaient à un agrégateur, start-up typique du moment, rendue célèbre par le succès que son jeune président avait rencontré au Sénat. La question posée, Qu’est ce qu’une citation ? Jusqu’où va le droit de citation ?
Techniquement, la citation a une portée beaucoup plus générale que ce que laisse entendre sa définition juridique.
Toutefois, on peut trouver une définition commune à la citation comme pratique d'écriture dans l'ordre des textes et comme droit particulier de la propriété littéraire : c'est une copie intégrée à un texte, une copie active, une copie écriture et pas seulement une copie lecture.
Fonctionnellement, la citation est l'inverse de l'annotation.
Vous connaissez mieux que moi les travaux théoriques sur la citation. On pourrait citer Gérard Genette. Je pense aussi à la démarche de Bernard Stiegler qui a essayé d'extrapoler la pratique de citation dans le secteur des systèmes documentaires audiovisuels.
La citation numérique est une pratique technique générique, de la génération des textes à la musique techno.
Elle a un rôle centrale dans l'hypertexte parce que l'écriture hypertextuelle repose sur la notion de fragments.
L'hypertexte est une écriture fragmentaire, non séquentielle. Nelson parle de chunks, souvent traduits par blocs. Barthes parle de fragments et de traits.
L'hypertexte littéraire est le domaine d'élection de l'écriture fragmentaire, beaucoup plus que d'autres types de textes présents sur le web.
Cette écriture fragmentaire est une composition qui associe fragments internes, originaux, et fragments externes, empruntés : ce sont les citations.
Les fragments internes sont considérés comme une affaire privée ; mais les fragments externes, les citations sont organisées par la loi.
Si l'expertise en matière d'écriture fragmentaire se situe du côté de l'écriture littéraire, il faut bien mesurer que, de plus en plus, les écritures et les publications courantes y font appel.
Et ces publications courantes, le pragmatic writing des américains, comme la presse en ligne, sont grandes utilisatrices de citations.
L'indication d'une source, dans un environnement automatisé se rapproche très sensiblement de la citation (sur ce plan l'argumentaire de Net2One n'est pas complètement faux), et l'utilisation de la citation, ou du renvoi pousse à la fragmentation interne du texte.
Pour résumer, l'hypertexte est parfaitement contradictoire avec la notion d'une autorisation de la citation. Il impose au contraire une pratique très large de la citation, et de toutes les formes de copie-écriture.
35/ Slashdot-Microsoft, ou Geste// Le lien
Un conflit, déjà évoqué, et une charte : dans les deux cas la pratique du lien se retrouvait limitée juridiquement, en fonction de son voisinage avec la citation ou la copie.
Microsoft assimile le lien, ou en tout cas, les liens utilisés par les auteurs de Slashdot, à une copie. Dans la Charte du Geste, le lien est autorisé (ce qui veut dire qu'il n'est pas un droit) pour autant qu'il ne soit pas considéré comme contraire à la politique éditoriale de l'éditeur.
Jusqu'à cette date, le lien n'était pas un objet juridique identifié.
La solution de MS et celle du Geste ne sont pas équivalentes. MS rabat le lien sur la copie. Le Geste reconnaît la spécificité du lien et en limite l'usage.
Peut on considérer, thèse maximaliste, que le lien équivaut à la copie, ou bien, thèse réduite, que certains types de liens équivalent à la copie ?
Je crois que les deux thèses sont fausses, et la première tout particulièrement parce que les différentes catégories de liens répondent à des sémantiques différentes même si, sur le net, tous les liens ou presque sont programmés et figurés de la même manière, ce qui, d'ailleurs, contribue grandement à la robustesse d'ensemble du dispositif.
Dans le cas qui oppose les éditeurs de presse et les agrégateurs, le lien visé est un lien d'amplification, comme celui qui permet de passer d'un sommaire ou d'une table au corps du texte.
Dans le cas de MS et de Slashdot, le lien est une fonctionnalité de renvoi, de citation, sans être la citation elle même.
Il n'est pas nécessaire d'insister sur le rôle de la technologie des liens dans l'hypertexte. Ils sont le complément des fragments. L'autorisation des liens est, comme celle des citations, parfaitement contradictoire avec le modèle de l'hypertexte.
Conclusion: Ce qu'institue l'hypertexte ?
41/ Le droit ne nous renseigne pas sur le rôle de la technologie comme facteur instituant.
Et notamment une thèse juridique évacue et fait obstacle à la compréhension des relations entre la technologie et l'espace public : la thèse de la neutralité technologique.
Neutralité technologique : une règle de droit doit s'appliquer autant que faire se peut indépendamment du "support " ou de la " technique ".
Il y a deux versions de la neutralité technologique.
Selon la version forte, la technique n'institue rien ; seul compte l'usage. Selon la version faible, il y a un manque essentiel de la technique à instituer, qui doit être comblé du dehors, notamment par une maîtrise de sa socialisation (c'est la critique du technicisme par Wolton).
Sous ses deux versions, la thèse de la neutralité technologique se donne comme une continuation du discours égyptien du Phèdre. Cette interprétation me semble erronée.
Platon distingue le " préjudice ou l'utilité ", d'une part, et l'usage, d'autre part.
Il propose une théorie de l'utilité de l'écriture (ou plutôt de son " préjudice ") : elle est un remède pour la remémoration, et une théorie de son usage : elle va être prise pour la mémoire, elle va lui prendre sa place.
Mais, dans ce texte, il n'y a pas de place pour un usage adéquat de l'écriture. Non seulement il n'y a pas de neutralité technologique, mais il y a une vérité technologique. Le projet de la technè écriture, c'est la remémoration qui est mauvaise en soi (ici). Le fondement de l'autorité de Thamous, c'est de connaître la vérité de l'écriture. La théorie de l'usage est donnée en plus.
Empiriquement, on vérifie d'ailleurs que l'approche juridique de la neutralité technologique n'est conservée qu'au prix de modifications des règles présentées comme de simples adaptations, alors qu'elles affectent en profondeur la technologie.
42/ La technologie de l'hypertexte a tendance à instituer un droit nouveau du lecteur.
Ce droit du lecteur synthétise les différents cas que j'ai évoqués et donne à leur solution une force supérieure aux tentatives d'adaptation.
Ce droit du lecteur pourrait trouver des sources dans les théories classiques de l'espace public.
Ainsi Kant, dans De l'illégitimité de la reproduction des livres : « …il y a eu une affaire que l’auteur voulait faire avec le public…Car l’éditeur ne possède le manuscrit que sous la condition de l'utiliser pour une affaire de l'auteur avec le public ».
Dans les termes de Kant, il suffit de considérer que l'auteur hypertextuel a une affaire avec le public, qui suppose des droits spécifiques du lecteur.
Le droit du lecteur ne se confond pas avec le droit à la lecture, qui n'en est qu'une partie, et pour l'essentiel, la seule organisée en droit français.
L'" accès à la lecture électronique ",i.e les moyens, et l'accès à l'enseignement de cette lecture sont des droits importants, mais vidés de leur dynamique, sans un droit plus général du lecteur.
Parce qu'il est institué par la technologie de l'hypertexte, le nouveau droit du lecteur est un droit à l'expression publique, un droit " à la communication ", un droit du lecteur-auteur.
A contrario, si la technologie était ignorée, pour cause de neutralité, ou comprise de manière erronée, le risque est grand d'orienter le fonctionnement de l'espace public vers des usages présentant des traits négatifs encore plus graves que ceux auxquels on aurait tenté de remédier.
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Как-то так, пройдусь еще по паре форумов, в надежде, что найдутся единомышленники.
Спасибо, если дочитали )))
Rédigé par : Liderproject | 06/12/2013 à 01:08